Les Palafittes
Ces occupations préhistoriques se retrouvent en grand nombre sur les rives des grands lacs de Suisse, d’Autriche, d’Allemagne, de France, d’Italie et de Slovénie. Plus de mille villages ont été découverts. Parmi eux, 111 sites sont depuis 2011 inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO. Dans la région des Trois-Lacs, 22 palafittes font partie de ce classement et les recherches archéologiques menées sur ces stations depuis plus de 150 ans servent de référence pour la compréhension de la préhistoire uropéenne. Rien que le long du littoral neuchâtelois, 70 sites ont été identifiés renfermant 123 villages différents. Dans notre région, l’occupation de ces habitats en milieux humides couvre une période longue de 3000 ans, comprise entre 4000 et 850 av. J.-C. Les données recueillies lors des fouilles lacustres permettent d’appréhender en détail la culture matérielle et l’aménagement de l’habitat de ces sociétés du Néolithique et de l’âge du Bronze.
Dans un environnement gorgé d’eau, les matières organiques, à l'abri des insectes et des bactéries, se conservent extrêmement bien pendant des millénaires. La préservation du bois est une aubaine pour la datation de ces occupations préhistoriques. Des expertises dendrochronologiques peuvent être menées à grande échelle afin de reconstituer l’évolution spatio-temporelle de ces champs de pieux. L’histoire architecturale des bâtiments peut être restituée entièrement plusieurs milliers d'années après leur construction. Dans le canton de Neuchâtel, l'habitat palafittique de la fin de l'âge du Bronze bénéficie d'une importante documentation de référence grâce aux travaux menés depuis plusieurs dizaines d'années sur les bords du lac, avec la fouille intégrale notamment de quatre villages et la datation dendrochronologique de 13000 prélèvements architecturaux. Les résultats obtenus indiquent que les hommes profitent d'une période de basses eaux pour se réinstaller sur les rives du lac dès 1057 av. J.-C. Cette réoccupation du littoral va perdurer de façon continue jusqu'en 850 av. J.-C. Implantés sur des pieux porteurs profondément enfoncés dans la craie lacustre, les bâtiments comportent un plancher surélevé pour être protégé des fluctuations du niveau du lac. Les maisons sont orientées avec le pignon face au vent dominant. L'habitat est groupé avec, pour les villages, des plans denses et ordonnés témoignant d'une structure sociale dépassant le cercle restreint de la maisonnée et du village même. Les recherches récentes sur le palafitte de Bevaix-Sud, immergé sous trois mètres d’eau, ont démontré que les bâtiments ont été implantés en suivant des lignes directrices matérialisées sur le terrain par des pieux plantés avant le début effectif des travaux. Une opération « d'arpentage » avant la construction des structures a pu être mise en évidence. Des bois ont été enfoncés pour définir des espaces à partir d'un axe de référence constitué de pieux et situés suffisamment loin du centre du village pour ne pas se trouver dans l'espace prévu pour les habitations. Cet axe de référence a été employé pendant toute la durée des travaux de construction et d'agrandissement qui ont duré une soixantaine d'années. La précision de l’expertise chronométrique nous permet de suivre sur la station lacustre de Bevaix-Sud, année après année, l’essor et le déclin du village, depuis l’abattage du premier chêne pendant l'hiver -1011 / -1010, jusqu’au dernier pieu planté, un bois refendu provenant d’un chêne âgé de 289 ans coupé pendant l’hiver -952 / -951.
Cette appréciation temporelle de l’évolution architecturale et spatiale du village permet aussi de faire des comparaisons originales avec certains habitats voisins, datant de la même époque, et de mieux cerner les interactions entre le village lacustre et son environnement. A l'âge du Bronze, les similitudes observées dans le développement des habitats contemporains dans les baies de Bevaix, de Cortaillod, d’Auvernier et d’Hauterive soulignent la grande interdépendance entre ces différentes communautés villageoises.